Armianu on Thiesse (2001)

Thiesse, Anne-Marie. La Création des identités nationales, Europe XVIIIe-XIXe siècle. Paris: Editions du Seuil, 2001. Pp. 307. ISBN 9782020414067.

Contrairement à tout ce qu’on apprit à l’école, le livre d’Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales, remet en question la théorie de la formation des états nations en soulignant que la nation est le résultat d’une décision consciente d’un groupe humain d’aspirer vers l’unité.

Les éléments qui renforcent la construction identitaire d’une nation sont nombreux : les liens linguistiques, la naissance d’une culture nationale, les fondements d’un même récit historique et l’existence d’un patrimoine ancestral. Leur contribution à la construction identitaire est bien analysée et reconnue chez Thiesse, mais ils ne font pas la source génératrice de la nation. C’est la nation qui les a créés.

L’analyse successive de ces symboles d’une nation conduit à la même conclusion. La nation est l’expression vivante d’une volonté de l’identité commune, avec un projet politique unique qui a une conscience de soi et de la maîtrise de son destin collectif.

L’affirmation de l’état nation générateur de valeurs nationales, bien structurées en dix chapitres, bouleverse notre idée de la nation. Ni l’invention du druisme gallois, du libéralisme et de la lutte contre l’absolutisme au dix-neuvième siècle européen, ni la naissance du folklore et des histoires des frères Grimm, ni le principe, plus scientifique, de Herder qui miroite la nation dans sa langue, ou le récit des histoires nationales, ni les prolétariens, ni l’idéologie national-communiste ne justifient la genèse d’une nation.

L’appauvrissement de leur importance ne fait que surprendre notre conscience nationale, étant donné que ces symboles ont soutenu les fondements de la construction identitaire chez toutes les nations, en prenant l’apparence des vérités universelles. Bien documenté, avec de nombreuses recherches sur le terrain, le livre de Thiesse délivre son message en corrigeant, en 290 pages, les théories précédentes et réitérant sa conclusion : l’existence d’une nation comme conscience de soi.

En vraie femme de science, formée à l’esprit méthodique de l’Ecole Normale Supérieure et directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), Thiesse ne prend pas le temps de ménager son public. Ses démonstrations renversent une trop longue tradition dans l’éducation des peuples européens. Les trois parties du livre, intitulées Identification des ancêtres, Folklore et Culture de masse, instiguent à regarder les évidences. Les exemples particuliers montrent que ce ne sont pas les marques de la nation comme l’origine commune, la langue nationale ou le patrimoine d’une culture qui ont fondé un groupe national mais, au contraire, c’est l’avènement d’une nation qui a renforcé ses murs à l’aide de tous ces symboles.

Le style littéraire élégant et la clarté scientifique plaît et facilite l’emprise du discours académique. Avec plusieurs articles et six livres publiés dans ce domaine, Anne Marie Thiesse est un nom de référence dans la recherche des identités nationales. Le sujet même de ses recherches est de la plus grande importance dans le contexte des débats sur l’efficacité d’un grand projet politique comme celui de l’Union Européenne.

Irina Armianu
University of Oregon-Eugene
Volume 38