Beliaeva Solomon on Cooper, ed. (2023)

Cooper, Barbara, éditeur. Crimes et châtiments dans l’aire atlantique (1827-1841): une anthologie. L’Harmattan, “Autrement Mêmes,” 2023, pp. v + 204, ISBN 978-2-14-033789-5

En proposant une anthologie d’affaires judiciaires issues de la presse des années 182741, Barbara Cooper apporte une contribution précieuse au catalogue de la collection Autrement mêmes, dirigée par Roger Little. Ces textes sélectionnés avec soin reflètent en effet les nombreux débats et controverses que la question du statut civil et politique des Noir.e.s a pu susciter dans un contexte colonial esclavagiste. L’introduction, richement annotée, apporte une contextualisation essentielle aux enjeux complexes dont les textes sélectionnés sont porteurs. L’anthologie comprend également une bibliographie ainsi qu’une brève annexe contextualisant davantage les problématiques abordées.

De manière significative, le premier texte retenu est un récit de fiction abondamment diffusé dans la presse de l’époque: la nouvelle Le Planteur de Paramaribo (1833) de Théodore Lacordaire, mettant en scène des personnages et conflits stéréotypés. En incluant ce récit de fiction au sein d’une anthologie de textes à vocation essentiellement documentaire, Cooper souhaite mettre en évidence les représentations dominantes de l’époque et souligner l’importance de la littérature comme moyen de diffusion et de critique des réalités coloniales (ix). Cette nouvelle, dont l’action se situe au Surinam, est suivie d’une sélection de textes autour d’une dizaine d’affaires judiciaires, recueillis dans des périodiques tels que la Gazette des tribunaux, le Courrier des tribunaux, la Gazette des cours d’assises et des tribunaux correctionnels, la Cour des assises, le Le Droit ou l’Audience, et regroupés par zone géographique.

L’anthologie propose ainsi quatre affaires situées à Cayenne. La première, dite l’affaire Jean-Baptiste, du nom d’un cuisinier Noir injustement accusé de meurtre à bord d’un bateau négrier, révèle, selon Cooper, le “préjugé (pré-jugé) racialiste” d’une couverture médiatique qui tend systématiquement à passer sous silence les crimes des blancs (xiii). Suit un texte publié dans la Gazette des tribunaux du 16 novembre 1829, relatant la condamnation à mort par le tribunal criminel, puis par la cour royale à Cayenne, du dénommé Maquita, en marronnage depuis plus de huit ans, pour vols à main armée. Le compte rendu de la Gazette des tribunaux, repris par une demi-douzaine de titres dans les jours qui suivent sa publication, insiste sur la dignité et le courage dont a fait preuve le condamné, ainsi que sur le chant funèbre que “l’enfant du Niger” a entonné sur le chemin de l’échafaud. Cooper attribue cette couverture essentiellement positive au soutien que la rédaction de la Gazette des tribunaux prête à l’abolition de la peine de mort, sans toutefois se prononcer pour l’abolition de l’esclavage (xiv-xv). L’affaire Prus, relatée dans la Gazette des tribunaux du 28 janvier et 6 février 1831, donne à voir la méfiance et le discrédit qui entourent les témoignages d’esclavisés dans le cadre d’une procédure judiciaire intentée contre le colon Saturnin Prus pour les actes de torture et de meurtre commis à l’encontre de Linval, un individu esclavisé sous son autorité. Enfin, l’affaire Franconie, du nom d’un colon français impliqué dans une affaire de marronnage, témoigne de l’important intérêt médiatique pour ce sujet. L’affaire, classée parmi les faits divers, est en effet abondamment diffusée, avec des rapports successifs décrivant systématiquement le marronnage comme un acte criminel tout en mettant en avant le courage de Franconie et les bonnes relations entre la Guyane française et hollandaise (xvii-xviii).

La partie consacrée à Cayenne est suivie de trois ensembles de textes dédiés à trois affaires se déroulant en Guadeloupe. La première, l’affaire Sommabert, concerne les atrocités commises par un colon guadeloupéen à l’encontre de trois individus en esclavage. Comme dans l’affaire Prus, les dépositions des témoins esclavisés n’ont pas suffi à obtenir une condamnation à la mesure du crime, malgré l’indignation que celui-ci a pu susciter dans la presse (xix). Suit l’affaire Romager, rapportée dans la Gazette des tribunaux du 12 avril 1833, touchant à l’inégalité des hommes de couleur libres devant la loi, et l’affaire Amé Noël, concernant la cruauté d’un planteur de couleur, portée devant la Cour de cassation à Paris pour le scandale qu’elle a suscité.

Après la partie consacrée à la Guadeloupe, l’anthologie présente deux affaires se déroulant en Haïti: l’affaire Henry George, rapportée dans Le Télégraphe de Port-au-Prince, et l’affaire Eriaz, relatée dans la Gazette des tribunaux. Toutes deux témoignent d’un recours à l’irrégularité de la procédure pour casser un jugement. De plus, l’affaire Eriaz, reprise par plusieurs journaux, voit sa véracité mise en doute par de nombreux éléments que Cooper commente dans sa présentation, dont notamment l’absence de sources antérieures au texte de la Gazette des tribunaux. Aussi Cooper suggère-t-elle que l’abondante diffusion de l’affaire sur un temps long constitue une manière de naturaliser et perpétuer l’idée de “l’infériorité et la dangerosité de ceux qui ont une goutte de ’sang noir’ dans le veines” (xxiv).

La partie consacrée à la Martinique ne consiste que d’une affaire, celle de la veuve Marlet, bien connue pour la visibilité médiatique dont elle a bénéficié en son temps. Condamnée en juillet 1828 à vingt ans de bannissement pour traitements cruels et inhumains à l’égard de ses esclaves, la veuve Marlet a par la suite vu sa peine réduite à trois ans par la Cour royale de la Martinique. En 1850, le fils de Mme Marlet brigue un mandat comme représentant parlementaire de la Martinique à la Chambre des députés et publie des articles incendiaires, ce qui pousse Cyrille Bissette, abolitionniste martiniquais et fondateur de la Revue des Colonies, à publier une brochure intitulée Une cause célèbre coloniale reprenant le texte des délibérations et du jugement prononcé par la cour en 1828, et s’indignant de l’impunité relative des crimes de Mme Marlet.

Dans la conclusion de la présentation du volume, Barbara Cooper reprend les observations de Cyrille Bissette sur l’injustice immanente régnant sur les territoires coloniaux, qu’elle voit confirmées par les affaires judiciaires présentées dans l’anthologie (xxviii). En rassemblant ces textes dans une seule publication, Barbara Cooper offre une perspective unique sur les tensions structurantes de la société coloniale esclavagiste. Par sa clarté et sa richesse, Crimes et châtiments dans l’aire atlantique (1827-1841): une anthologie constitue une ressource précieuse pour les étudiants et chercheurs spécialisés en histoire et droit colonial.