Schreier on Childs and Libby, eds. (2014)

Childs, Adrienne L., and Susan H. Libby, eds. Blacks and Blackness in European Art of the Long Nineteenth Century. Surrey: Ashgate, 2014. Pp. xiii + 240. ISBN: 9781409422006

Childs, Adrienne L., and Susan H. Libby, eds. Blacks and Blackness in European Art of the Long Nineteenth Century. Surrey: Ashgate, 2014. Pp. xiii + 240. ISBN: 9781409422006

Lise Schreier, Fordham University

Les personnes et personnages de couleur sont fréquemment représentés dans l’art européen à partir de la Renaissance, qu’ils soient réduits à la fonction d’accessoire et de repoussoir dénotant la beauté, la richesse, le luxe ou le prestige de celles et ceux qu’ils servent ou accompagnent, ou dépeints pour confirmer ce que les Occidentaux ont longtemps tenu pour une altérité irréductible. Ce volume propose une étude de diverses constructions de ces figures dans la production visuelle du XIXe siècle pour montrer que les rôles qui leur sont assignés à cette époque se compliquent considérablement. Chaque chapitre détaille les circonstances de production des œuvres choisies, qu’il s’agisse de gravures, de tableaux, de sculptures, de spectacles, de caricatures, de photographies. Ensemble, ces essais soulignent l’instabilité et la complexité de la notion de race dans l’art visuel à une période charnière de l’histoire coloniale, de l’histoire des représentations et de l’histoire de la distribution et de la consommation d’images. Les contributeurs ont le mérite de s’intéresser aux contradictions, aux fragmentations, aux ambivalences exprimées par divers artistes, durant un siècle où les rencontres avec les personnes de couleur se multiplient et où la figure du Noir devient une sorte de toise identitaire mais aussi un produit de consommation pour l’ensemble de la population. Si ce volume analyse principalement les manières dont les Occidentaux inventent, négocient et interprètent ces représentations, il accorde aussi une place à des personnes de couleur alors présentes en Europe (un acteur, un sculpteur, un clown, des modèles), décision aussi pertinente que captivante.

Les Africains et leurs descendants tels qu’ils sont représentés dans l’espace visuel européen du XIXe siècle se plient––ou résistent––à divers codes iconographiques et idéologiques que chaque contributeur analyse judicieusement. Susan H. Libby suggère fort justement que l’imagerie abolitionniste de l’ère révolutionnaire souligne les différences entre Noirs et Blancs pour mettre l’accent sur les qualités morales des Français, qualités grâce auxquelles les esclaves deviendront dignes de la liberté. Albert Alhadeff s’intéresse à l’un des personnages de couleur du Radeau de la Méduse, établissant que cette figure, qui dans les dessins préparatoires de Théodore Géricault semble dérivée des manuels de craniologie alors en vogue auprès des peintres, acquiert dans le tableau fini une individualité remarquable. Paul H. D. Kaplan s’intéresse au sculpteur Eugène Warburg, dont la jeunesse à la Nouvelle Orléans, les pérégrinations en Europe et les liens avec les abolitionnistes britanniques forment un témoignage unique du parcours artistique d’un homme de couleur. Earnestine Jenkins propose une lecture passionnante d’un tableau de James Northon représentant l’acteur Ira Aldridge, l’une des figures de couleur les plus visuellement documentées dans l’Europe du XIXe siècle, pour montrer qu’en le dépeignant à la fois en Othello et en artiste dramatique, le peintre remet en cause les modes de représentation des personnes de couleur en Angleterre. Adrienne L. Childs indique que les corps noirs peints par le célèbre orientaliste Jean-Léon Gérôme donnent aux corps blancs qu’ils côtoient une dimension sexuelle et exotique. James Smalls analyse judicieusement les façons dont les personnages de couleur sont présentés, consommés, oblitérés dans les spectacles populaires de la deuxième partie du siècle, soulignant de quelle manière la mise en scène de leur altérité aide alors les Français à définir leur identité. Alison W. Chang consacre un excellent chapitre aux tableaux d’Edvard Munch représentant l’artiste de cirque Sultan Abdul Karim, tableaux qui multiplient les références à diverses traditions visuelles pour en souligner l’artificialité, et qui représentent le modèle tout aussi bien en pastiche d’être primitif qu’en double de l’artiste. Le volume se clôt sur une étude remarquable de Wendy A. Grossman consacrée au photographe Demachy, qui à partir de 1901 remet en question les dichotomies raciales et esthétiques constitutives du XIXe siècle, démarche d’autant plus notable que la reproductibilité de la photographie contribue de manière significative à la spectacularisation de la notion de race.

Certaines sections de Blacks and Blackness auraient gagné à être plus concises, d’autres manquent quelque peu d’innovation et la couverture de l’ouvrage surprend par sa ressemblance avec le livre que Gérard Noiriel a récemment consacré au clown Chocolat. On regrette aussi qu’une part plus importante n’ait pas été accordée aux gens de couleur côtoyant les artistes européens dont les œuvres sont discutées ici (modèles, domestiques, parfois aussi autres artistes). Cependant le volume dans son ensemble frappe par sa pertinence et sa cohésion. Les nombreux liens qui se tissent au fil de la lecture entre diverses périodes, diverses formes d’expression visuelles, divers questionnements sur la nature et la fonction des représentations raciales au XIXe siècle, sont fascinants. Les discussions sur la dimension mimétique des identités fictives des gens de couleur telles qu’elle sont fixées par les Européens, sur la perception et la construction de l’authentique, sur la réception des œuvres et de manière générale sur cette diaspora font de ce recueil richement documenté (il inclut neuf illustrations en couleur et quarante-neuf illustrations en noir et blanc) une entreprise réussie. 

Volume 44.1-2