Wang on Auraix-Jonchière (2017)

Auraix-Jonchière, Pascale. George Sand et la fabrique des contes. Classiques Garnier, 2017, pp. 274, ISBN 978-2-406-06288-2

Auraix-Jonchière, Pascale. George Sand et la fabrique des contes. Classiques Garnier, 2017, pp. 274, ISBN 978-2-406-06288-2

Ying Wang, Pace University at New York

Si comme George Sand l’évoque dans Histoire de ma vie, les contes qu’elle a entendus et lus pendant son enfance ont eu une influence profonde sur son esprit et sa sensibilité, comment ces contes, ainsi que ceux qu’elle a découverts plus tard, travaillent-ils ses fictions narratives et sa production spécifique de contes? En tant que spécialiste de George Sand et de la réécriture des contes et des mythes, Pascale Auraix-Jonchière nous invite à réfléchir sur cette question à travers une étude de l’intertextualité, ayant pour objet d’analyse un riche réseau de références au conte merveilleux ou fantastique, à son motif, à sa structure et à ses composantes dans les récits de l’écrivaine. Le corpus fondamental de cette étude se compose de l’œuvre des Contes d’une grand-mère et des fictions narratives qui ont un lien intrinsèque avec le genre littéraire du conte.  Tout au long de son étude, Auraix-Jonchière examine les récits concernés de Sand en analogie avec les contes de fées (Charles Perrault ou Madame d’Aulnoy), les contes hoffmanniens, ou les légendes et mythes antiques. Elle offre également un examen du paratexte (titre, sous-titre, préface) et une analyse textuelle qui mettent en lumière les modalités de fonctionnement des intertextes dans la fabrique des contes sandiens. L’auteure de l’ouvrage indique dans l’introduction que “le conte comme forme littéraire et comme mode de pensée, loin de constituer un simple espace d’évasion, peut être considéré comme l’une des matrices de la pensée sandienne” (10). Cette affirmation annonce bel et bien la portée de cette étude qui s’intéresse de façon plus large à la “posture” de la femme écrivain.  

Cet ouvrage se divise en deux parties principales. La première partie, intitulée “Du roman et du conte, du roman vers le conte,” montre comment la matière des contes nourrit les fictions narratives de Sand et inspire une interrogation d’ordre poétique et idéologique. À travers l’analyse de récits romanesques associés au conte, l’auteure découvre que la romancière, qui puise les thèmes et les éléments du conte merveilleux ou fantastique, sans se contenter de transposer le schéma stéréotypique, effectue de fait un processus complexe de réécriture en appropriant et transmutant les dispositifs des contes traditionnels enracinés dans sa mémoire dès son enfance. De plus, Sand favorise une hybridation imaginaire pour sa création romanesque qui fusionne plusieurs genres littéraires (conte, légende, et mythes): ses stratégies esthétiques servent souvent à transmettre une réflexion politique. 

La deuxième partie, “L’écriture des contes,” concentrée sur les Contes d’une grand-mère, examine les procédés et les enjeux majeurs des contes sandiens. Selon Auraix-Jonchière, avec la publication de cette œuvre-là, le genre du conte est pour la première fois ouvertement revendiqué dans un titre de l’ouvrage de Sand et la définition de ce genre littéraire se précise plus qu’avant pour la conteuse: “il s’agirait d’une ‘histoire’ (terme récurrent), d’un ‘récit’ que l’on raconte oralement avant de l’écrire, et qui contient une part de merveilleux” (145). Pourtant, l’analyse d’Auraix-Jonchière révèle que tous les textes de ces deux volumes de contes, avec leur implantation réaliste, ne se conforment pas parfaitement aux contes merveilleux. Sand se réapproprie la plupart des prototypes en vigueur et traite de la dimension du surnaturel de sa propre façon: “c’est pour l’essentiel un surnaturel intériorisé (le rêve, l’inconscient) ou langagier (métaphorique, poétique), vecteur d’une réflexion sur la psyché ou la relation au monde” (147). La conteuse qui remodèle et renouvelle en toute liberté les matériaux premiers puisés dans les contes traditionnels et les récits mythologiques, invente effectivement une forme autonome et novatrice de conte à travers laquelle elle poursuit sa réflexion critique sur la vie et sur la société. Dans l’épilogue de l’ouvrage, Auraix-Jonchière continue son interrogation sur les nouveautés des contes sandiens par l’analyse de trois textes—“Le Nuage rose,” “La Fée poussière,” et “La Fée aux gros yeux”—qui se réunissent par la combinaison du schème de l’évasion et du motif de filage. Le panorama offert par cette étude, comme l’avance l’auteure dans la conclusion, présente les Contes d’une grand-mère “comme le point final de tout un parcours sensible et intellectuel. Il s’agit […] non pas d’une acmé, mais d’un état avancé de la réflexion depuis longtemps en cours […]” (257).

Cet ouvrage s’avère un chef-d’œuvre d’analyse textuelle et intertextuelle qui est fine et solide, basée sur une lecture extrêmement sensible des récits sandiens et nourrie par des recherches approfondies sur les contes merveilleux et fantastiques, les légendes et les mythes. L’analyse d’Auraix-Jonchière, ayant élargi l’horizon des réflexions sur la production spécifique de contes sandiens, doit être considérée comme un point de repère dans les études de l’œuvre et des pensées de l’écrivaine. Ce livre pourrait intéresser tous les spécialistes qui admirent l’originalité, la richesse et la profondeur d’une étude attestant de l’actualité de la critique sur George Sand et sur la dynamique de l’intertextualité.

Volume 47.1–2