Guibal on Berthier, Petit catéchisme stendhalien (2012)

Berthier, Philippe. Petit catéchisme stendhalien. Paris: Éditions de Fallois, 2012. Pp. 188. ISBN: 978-2-87706-785-0

Berthier, Philippe. Petit catéchisme stendhalien. Paris: Éditions de Fallois, 2012. Pp. 188. ISBN: 978-2-87706-785-0

            Antoine Guibal, University of Virginia

On ne s’étonnera pas que Philippe Berthier, qui s’est beaucoup intéressé au rapport de Stendhal à la peinture, ait choisi dans son Petit catéchisme stendhalien de parler de la sensibilité religieuse de ce dernier comme d’un “chiaroscuro” (175). C’est faire d’une pierre deux coups, car le procédé pictural du clair-obscur lui permet en même temps d’évoquer la critique, qui depuis la parution de Stendhal et le sentiment religieux de Francine Marill-Albérès en 1956, aura finalement jeté assez peu de lumière sur cette “sensibilité religieuse” de l’auteur du Rouge et le Noir. La métaphore filée de la peinture conclut l’introduction et annonce l’entreprise de ce petit ouvrage somme toute assez grand public: “On voudrait simplement apporter des retouches au portrait appauvrissant parce que tout d’une pièce qu’on donne trop souvent de son incroyance. C’est beaucoup plus compliqué” (12).

L’oxymore qui sert de titre à l’ouvrage en annonce la couleur, et les habitués des écrits de Berthier ne seront pas surpris du ton du livre lorsqu’ils en commenceront la lecture: alternativement léger, ironique, mordant, humoristique, quand ce n’est pas tout cela à la fois. Bien que le livre soit à la troisième personne, la parole est souvent laissée à Stendhal par le truchement d’un discours indirect libre qui libère le texte de la froideur et de la distance que peut parfois impliquer la relation du critique à l’écrivain. Ici les lignes tendent à s’estomper, comme dans le clair-obscur, entre les zones claire et sombre.

En plus de l’introduction (ou “Introït”) et de la conclusion (“Ite missa est”), l’ouvrage se compose de quarante-cinq entrées rangées par ordre alphabétique, de une à sept pages de longueur. Chacune donne lieu à un commentaire, plus évocatif qu’exhaustif, sur leur traitement dans le corpus stendhalien, et les associations d’idées prévalent sur l’ordre chronologique. Sans toutes les citer, elles vont de “Anges,” “Bible,” et “Chateaubriand” à “Éteignoir,” “Luther,” et “Mahomet,” en passant par “Pascal,” “Saints,” ou bien encore “Voltaire.”

Précisant le plus souvent le contexte historique et littéraire, Berthier montre à la fois ce qui a rebuté et inspiré Stendhal dans son étude de l’Homme et ses procédés d’écriture. L’entrée “Confession,” par exemple, met en évidence cette dualité: “effacement périodique de l’ardoise, où chacun trouve son compte” (46), la pratique confessionnelle dote aussi le romancier de l’avantage exceptionnel de “lire dans les cœurs à livre ouvert, pouvoir les orienter à son gré, en faire littéralement ce qu’on veut en vue d’un but qu’on est seul à connaître” (47). On lira plus loin que la “dramaturgie du péché” constitue quant à elle “un admirable ressort romanesque” (126).

Quelques paradoxes sont également pointés du doigt. Le commentaire sur les “Beaux-Arts” montre l’attitude ambivalente, et pour le moins surprenante, de Stendhal par rapport à la peinture chrétienne: alors qu’il les vide de leur contenu religieux lorsqu’il contemple les grandes œuvres héritées de “[l’]âge d’or des arts, qui est celui de la foi” et des papes mécènes, il déplore le “principe d’utilitarisme” (25), fruit de la modernité, qui petit à petit étouffe une production artistique riche, dans tous les sens du terme. Cette idée trouve sa continuation à l’entrée “Icônes,” dans laquelle Berthier explique que “Stendhal établit une relation directe, immédiate, organique, entre la croyance et son expression plastique” et déplore la “nullité de la peinture religieuse moderne” (79), due à un désintéressement croissant de la société à l’égard des questions religieuses.

Ce “petit catéchisme,” agréable à consulter, brosse un tableau instructif de la sensibilité religieuse de Stendhal, cet auteur “foncièrement religieux” car ayant “beaucoup senti” (176). Si le format et le ton, délibérément légers et teintés d’humour, permettent d’éviter un trop grand sérieux, ils font aussi que l’auteur n’entre pas trop dans les détails ou l’analyse pure, mais pousseront le lecteur ou le chercheur à creuser plus en profondeur telle idée qui l’intéressera particulièrement. Les références au corpus stendhalien (179-83) et la petite bibliographie indicative (185-86) aideront celui-ci à “persévérer” dans cette voie-là.

Volume 42.3-4
DOWNLOAD PDF (20.21 KB)